Etats-Entreprises, le bras de fer ou le sourire de velours? chapitre 1 le choc frontal

Nous vivons certainement une période importante de l’économie mondiale marquée par une mutation du système capitaliste dont le socle a été son essor parallèle avec celui des Etats-Nations au XIX° siècle et la première moitié du XX° siècle. Plusieurs voies sont possibles dont l’une, discrète, a été décrite par Edgar Morin dans un article resté célèbre http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/01/09/eloge-de-la-metamorphose-par-edgar-morin_1289625_3232.html« Eloge de la métamorphose » et publié en janvier 2010, d’autres plus visibles sont à l’oeuvre sous nos yeux.

La Commission Européenne avait lancé la grande révolte des Etats contre les entreprises transnationales de l’économie numérique en s’en prenant aux plus gros du secteur (Apple notamment) pour leur infliger des amendes records. Ce fut à ce moment qu’a été popularisé l’acronyme GAFA, devenu GAFAM depuis que Bill Gates a manifesté son désapointement de ne pas être dans ce club très privé des « ennemis de la planète ». Mais comme la planète finance vient de se rendre compte que la Chine existait aussi et qu’elle avait ses propres géants, l’hydre à 4 têtes est devenu une hydre à 9 têtes qui répond au doux nom de FATGASBAM qu’on doit lire en décomposé FAT-GAS-BAM (traduction approximative « grosse explosion de gaz »). Rien ne semble pouvoir s’opposer au mépris que ces groupes transnationaux affichent pour les Etats-Nations, leurs frontières et leurs règles fiscales ou sociales au point que certains les voient à la tête de ces mêmes Etats dans 3 ou 4 ans , voire moins même,  http://www.novethic.frPourquoi Mark Zuckerberg sera Président des États-Unis

Cela dit, pour les observateurs avertis qui suivaient avec attention la progression des dégâts provoqués par la nouvelle vague de mondialisation, cela n’est pas vraiment une nouveauté . Il est d’ailleurs dommage que les travaux parlementaires du début du siècle n’aient pas eu plus d’écho. Il y a notamment ce rapport http://www.senat.fr/notice-rapport/2006/r06-262-notice.html Etats ou entreprises : qui gouvernera le monde demain ? Actes du colloque du 23 janvier 2007 sous-titré : «  Rapport d’information de M. Joël BOURDIN, fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification n° 262 (2006-2007) – 22 février 2007 »
Vous aurez sûrement noté la date de ce colloque. C’était en pleine campagne électorale pour les présidentielles qui devaient voir s’affronter au second tour Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. C’était aussi précisément le moment où les échanges sur les « valeurs immobilières adossées à des actifs immobiliers » se sont brutalement taris provoquant quelques mois plus tard la crise financière mondiale connue sous le nom de « crises des subprimes ».

Du coup, je ne résiste pas au plaisir de citer in extenso la note de présentation de ce rapport qui en dit suffisamment sur la teneur des échanges au Sénat ce jour-là : « Tandis que les entreprises s’affranchissent chaque jour un peu plus des frontières nationales, l’État est confronté à une remise en cause des ancrages territoriaux traditionnels de l’action économique. Manquant de marges de manoeuvre, il est contraint de réexaminer ses périmètres d’intervention. Pourtant ce sont les États eux-mêmes qui sont à l’origine de cette évolution manifeste depuis une quinzaine d’années : l’entrée dans la compétition économique mondiale des ex-« pays de l’est » et la montée en puissance de pays émergents au potentiel gigantesque (Chine, Inde) ont entraîné un décloisonnement qui, conjugué à l’extension du libre-échange (élargissement de l’Union européenne, mise en place de l’Organisation mondiale du commerce…) promeut les entreprises comme des acteurs de plus en plus puissants. Trois sujets de réflexion ont été successivement approfondis :

o d’une part, le divorce entre une logique des territoires et une logique de réseaux, ce qui a conduit à aborder les problématiques du rachat d’entreprises nationales, des délocalisations et du « patriotisme économique » ;

o d’autre part, le rôle croissant des entreprises dans des fonctions considérées historiquement comme étatiques, voire régaliennes, et l’émergence, par conséquent, d’une véritable responsabilité « sociétale » de l’entreprise ;

o enfin, les conséquences des constats précédents en termes de politiques publiques, avec la multiplication des instances de régulation et l’effacement relatif des États nationaux, du moins dans leurs formes d’action traditionnelles

Ceci annonce tout à la fois la généralisation de la RSE, et son avatar législatif à venir, la loi PACTE, les accords de libre-échange type TAFTA ou CETA et leurs instances d’arbitrage a-nationales et accessoirement la sacralisation comme mesure de l’attractivité d’une économie d’un indicatuer financier connu sous l’acronyme de IDE qui signifie soit Investissement Direct de l’Etranger soit à l’Etranger, selon qu’il s’agit de l’investissement en France d’entreprises enregistrées ailleurs ou de l’investissement à l’étranger d’entreprises enregistrées en France.

Cela annonce surtout une implication croissante de ces sociétés, dont les propriétaires ne sont pas forcément connus du public (connaissez-vous les propriétaires de la banque Goldman Sachs ou du fonds de placement Black Rock?), dans des domaines traditionnellement réservés aux Etats : défense (avec l’apparition dans le sillage de l’armée américaine, de milices privées dans des conflits comme en Irak ou en Syrie), sécurité publique (les exemples foisonnent y compris sur les mers contre les pirates), la monnaie (avec le bitcoin comme figure emblématique). Cela annonce enfin une intervention dans les nouveaux domaines investis par les Etats en matière d’infrastructures : télécommunications, et même les voyages dans l’Espace, comme par exemple la société SpaceX qui fait une concurrence frontale à la NASA et à ArianEspace

A cet égard, le cas du patron de cette société https://fr.wikipedia.org/wiki/Elon_Musk

est intéressant à approfondir : se lançant à corps perdu dans l’espace, des voitures de haute performance , le transport terrestre à grande vitesse mais lançant en parallèle un débat éthique sur le développement de l’intelligence artificielle.

Comme on le voit, nous ne sommes qu’à l’aube d’un choc frontal entre deux modes d’organisation de la société dont l’un tire sa légitimité d’un vote démocratique de plus en plus décrédibilisé par la forte abstention et l’autre, d’une réussite économique qui doit plus à des mœurs prédatrices et des pratiques illégales qu’aux seuls talents industriels ou commerciaux de ses héros/hérauts.

A suivre….

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