Démocratie et environnement Partie 2/4

Colloque  « La Démocratie  face aux enjeux environnementaux : la transition écologique »

11 décembre 2014 Sorbonne Amphi DURCKHEIM

« TRANSITION, TOURNANT OU MUTATION ? »

Cette journée s’est déroulée en trois tables rondes qui comme toutes les tables rondes ne furent que des successions de monologues, que j’ai appelé conférences puisque nous étions à l’Université. Trois temps forts dans cette journée : l’intervention d’Eloi Laurent, le retour d’expérience d’Angèle Hermitte et l’analyse de Dominique Dron

Introduction par Yves Charles Zarka

Ce colloque clôture un programme de recherche de 4 ans autour de 4 enjeux

Enjeu 1 : la vulnérabilité. Les enjeux environnementaux créent des zones de vulnérabilité nouvelles qui viennent s’ajouter à des vulnérabilités déjà existantes dont le cumul risque de provoquer une instabilité de l’ensemble du système.

Enjeu 2 : les biens environnementaux et la question de leur évaluation économique. C’est une tentative d’extension ultime de la sphère de l’économie de marché aux biens communs, extension qui prend souvent la forme d’un dévoiement avec notamment les taxes éco ou les droits à polluer.

Enjeu 3 : le débat entre efficacité et légitimité. La privatisation du domaine public se fait à partir de règles juridiques qui soit lient les parties soit sont détournées avec la conséquence qu’en tout état de cause la règle protège le fort.

Enjeu 4 : le régime démocratique lui-même . La prise en compte des enjeux environnementaux induit la prise en charge de nouvelles problématiques inconnues des régimes démocratiques tels qu’ils fonctionnement actuellement et cela crée des conflits de légitimité.

Ce cycle de recherche a donc analysé les rapports entre l’économique et le politique et entre le savoir et l’action, c’est-à-dire le rapport entre trois sphères, la sphère de l’économie, la sphère scientifiques et la sphère des politiques. On constate qu’actuellement la sphère économique est devenue (ou reste ?)  autonome, voire au-dessus des lois . mais cette loi de fer qu’impose l’économie n’existe qu’autant qu’on l’accepte. Le travail devenu une abstraction, la marchandisation de tout et le profit ont abouti à une augmentation parallèle de la surexploitation des ressources et des inégalités sociales.

Pour y répondre, il ne suffit plus d’intégrer ces problématiques dans le processus législatif mais bien de repenser la démocratie et notamment ce conflit entre deux légitimités : la légitimité issue de la démocratie participative de la société telle qu’elle est et celle de la société telle que nous la voulons.

Cela pose notamment la question d’une réforme des modes de consultation, d’où l’importance du rapport avec les politiques pour les repenser avec une obsession : ce qui doit se faire, devra se faire de façon prévisible afin que la transition se fasse dans un large consensus, sinon les changements nécessaires prendront la forme d’une mutation (c’est-à-dire un changement d’état et de nature) qui sera brutale et imposée de l’extérieur. La conclusion est qu’il est grand temps d’agir car bientôt, il n’y aura plus le choix entre les options.

 

Table ronde 1 « la démocratie au pied du mur »

Conférence 1.1. « « La prospective dans le débat national sur la transition énergétique, entre enquête scientifique et démocratie délibérative » Patrick CRIQUI CNRS Grenoble http://edden.upmf-grenoble.fr/

Les rapports entre science, société et décideurs ont été modelisés selon quatre schémas

Le « modèle positiviste-scientifique » : les faits sont les faits et il existe « une meilleure solution ». Les scientifiques sont donc les mieux placés pour choisir puisqu’ils savent. C’est le gouvernements des savants dont rêve ou que redoute les auteurs de science-fiction.

Le « modèle positiviste-décisionniste » : les faits sont les faits et il existe « une meilleure solution » mais le politique qui décide en fin de compte , doit tenir compte des influences et intérêts auxquels il est soumis. L’exemple en est le gouvernement Messmer qui en 1974 lors du même conseil des ministres décide de la politique nucléaire de la France et du lancement du TGV.

Le « modèle constructiviste-relativiste » : Les faits sont les faits mais ils sont biaisés par nos jugements de valeur. Tout ou presque se décide politiquement à partir de ces jugements de valeurs. Ce modèle nous rappelle quelque chose

Le « modèle pragmatique éclairé » : Il existe plusieurs solutions selon les jugements de valeur du politique. Les scientifiques ont pour mission d’identifier les problèmes et d’éclairer les solutions possibles et alternatives.

Quel que soit le modèle ,  il y a un risque réel d’instrumentalisation de la science mais comme l’apport scientifique est nécessaire pour réussir la transition dont on parlait dans l’introduction, celui-ci ne peut se faire qu’à certaines conditions . La première est de franchir les fossés entre disciplines scientifiques, c’est-à-dire construire des ponts entre sciences normatives et sciences descriptives.  La deuxième qui la complète est de prendre conscience que le principe de précaution, qui est l’épine dorsale de la charte de l’environnement s’appuie sur  une science incertaine dans ses conclusions mais fiable dans ces méthodes. Ainsi les sciences de l’environnement ne sont pas des sciences exactes mais l’utilisation de modèles permet par l’observation statistique renouvelée de se rapprocher progressivement d’une vérité scientifiquement valable. Une troisième conditions est de déminer les mots pièges comme « acceptation sociétale » qui peut être remplacée par « faisabilité socio-technique » qui illustre un consensus entre la sphère scientifique et la sphère de la société civile, l’écueil est l’accusation d’être les fossoyeurs de la biodiversité. Un autre mot piège est « instruments économiques pour l’environnement » : les systèmes de prix sont certes nécessaires mais pas suffisants pour décrire un impact social-sociétal d’autant que son usage peut en être biaisé. Ainsi le principe d’une taxe pollueur-payeur peut être acceptables, à condition d’en analyser les conséquences sociales, alors que les droits à polluer, type crédit-carbone ou quotas d’émission sont plutôt à proscrire.

L’apport de la démarche prospective à la démocratie est de lui apporter une grille à échelles multiples (territoires d’analyse, périodes de projection). Ainsi dans les mois qui ont précédé la loi sur la transition énergétique a permis un débat entre les parties prenantes qui  aboutit à la production de 16 scénarios organisés en 4 catégories : la sobriété (negawatt) , l’efficacité (Ademe), la diversification (RTE), la décarbonation (negatep). 16 scénarios d’experts avec la limite de lexpertise qu’on peut ainsi définir  « L’expert  est celui qui sait qu’il en sait que ne le croit celui qui le considère comme expert. »

 

Conférence 1.2. « De la gestion de la transition à la gouvernance de l’Innovation Sociale » Tom BAULER ULB Bruxelles http://igeat.ulb.ac.be/fr/equipe/details/person/tom-bauler/

C’est un spécialiste de la gouvernance de l’information dans la gouvernance politique

L’objectif est d’identifier les voies , trajectoires et mises en œuvre d’expérimentation comme un processus d’imagination, de programmation, de planification d’expérimentations afin de faire des signaux faibles des axes forts d’innovation sociale. Le passage de l’expérimentation induit nécessairement des consensus qui peuvent devenir des compromissions. L’inconvénient d’une telle approche est que cela est long , que cela correspond à un modèle culturel précis qu’on appellera « hollandais » ou « scandinave » et que cela ne met pas à l’abri du conservatisme des fournisseurs existant voire de la récupération  par les acteurs en place..

Hors ce modèle, il s’agit de passer à la gouvernance de l’innovation sociale, c’est-à-dire prendre ce qu’il y a de transformatif dans l’innovation sociale tout en lui permettant de garder leur caractère « alternatif ».

L’exemple pris est celui des AMAP : la généralisation des AMAP aboutirait à une impossibilité économique de leur existence en allongeant par exemple les circuits d’approvisionnement .

Le défi démocratique sous-jacent est d’organiser la complémentarité différentiée de l’innovation sociale.

Mais qu’est-ce que l’innovation sociale ?

Il s’agit d’une initiative à finalité sociale, mise en œuvre par des acteurs sociaux, avec un objectif à la fois social et sociétal, et se situant dans les interstices entre les sphères du marché, de la société civile et de l’Etat.

Mais dans l’ensemble de la transformation sociale, il y a plusieurs sous-ensembles qui se recoupent partiellement :

-pour l’Etat , l’innovation sociale est au service du bien public, symbolisé par l’Etat, C’est  par exemple le modèle de la « Big Society » prônée par les gouvernements britanniques successifs

-pour le marché, c’est l’économie partagée, l’économie de la fonctionnalité par exemple

-pour la société civile, ce n’est pas forcément aussi clair puisque cela recouvre des notions non dénuées d’ambiguïté comme économie participative, financement participatif.

Les ambiguïtés d’une telle notion tiennent au fait que l’innovation participative implique :

– une surparticipation qui use avec les risques de ruptures brutales comme un morceau de métal qui a force de se tordre finit par rompre « interactive metal fatigue »

-une intimité évidente des consommateurs auto-organisés à l’opposé des normes

Les nouveaux besoins sociaux induisent de nouvelles relations sociales qui se traduisent pas de nouvelles configurations sans hiérarchie qui aboutiraient à de nouvelles formes institutionnelles.

On en est là actuellement mais la question reste ouverte : « Comment organiser la « capture différentiée » de l’innovation sociale ?

 

Conférence 1.3. « Pour une transition social-écologique » Eloi LAURENT-OFCE et Stanford –http://www.ofce.sciences-po.fr/pages-chercheurs/laurent.htm

 

Intervention en trois parties

Qu’est-ce que l’approche social-écologique

Les inégalités comme pollution

Les pollutions comme inégalité

1)Les crises écologiques sont des crises sociales

Pour les uns, l’écologie veut sauver l’hospitalité de la planète pour les humains. C’est une vision anthropo-centrée de l’écologie dont les fondements sont plutôt de préserver la planète elle-même et sur celle-ci, les humains.

Les inégalités de revenu et de pouvoir s’opposent à un besoin de justice et des institutions nouvelles.

Tout ceci ouvre un bel avenir à l’Etat-providence dans une perspective écologique même limitée à la vision anthropocentrée.

Les sciences sociales détiennent la clé des problèmes posés par les sciences « dures » puisque la solution à ces problèmes se trouve le plus souvent dans des changements de comportement et d’attitudes.

Il y a un paradoxe apparent à ce que plus l’urgence environnementale est patente, moins on en fait. De fait il faut revenir au schéma originel du rapport Brundtland et notait que les environnementalistes n’ont pas toujours liés problèmes environnementaux et problèmes sociaux, ce qui est un biais structurel, et d’autre part que les gouvernants subissent une forte pression du fait de la crise financière, puis économique et enfin sociale, ce qui est une condition conjoncturelle aggravante.

Parmi les réponses à la crise, il manque un chainon : en ce qui concerne les relations entre la sphère sociale et la sphère économique, il y a la réponse du développement inclusif défendu notamment par Thomas Picketty, en ce qui concerne les relations entre la sphère économique et la sphère environnementale, la réponse du marché a été l’économie . La social écologie vise donc à remplir le vide conceptuel pour revivifier la liaison entre la sphère environnementale et la sphère sociale.

2)Les inégalités sont une pollution

Au niveau microéconomique, l’existence des inégalités est source de pollution par deux voies. La première est l’effet mimétique qui joue notamment sur les classes moyennes qui aspirent à des modes de consommation des plus favorisés mais la généralisation de ces modes de consommation est extrêmement destructeur, puisque par essence il s’agit pour beaucoup de gaspillage. La deuxième est que le mode de survie des plus défavorisée est également destructeur de la ressource naturel, l’exemple le plus flagrant étant le déboisement de certaines zones (Haïti Sahel) pour satisfaire le besoin le plus naturel : se nourrir des mets cuits.

Au niveau macro-économique, la réponse aux inégalités est la croissance qui serait sensée permettre une redistribution de revenus complémentaires et n’aboutit qu’à des gaspillages inutiles puisque la plus grande part des surplus est captée par une minorité. Et cette captation de plus en plus grande rend les plus riches incapables de percevoir leur responsabilité écologique. En outre la croissance des inégalités a des conséquences sur la santé de la majorité, ce qui réduit d’autant la résilience de la société. Enfin la croissance des inégalités réduit la sensibilité des plus pauvres aux enjeux environnementaux.

Au niveau politique, la croissance des inégalités induit la croissance de la polarisation politique qui réduit d’autant la recherche d’un consensus sans lequel les grandes réformes ne peuvent pas se faire.

3)La pollution est une inégalité

Il s’agit là de la reprise d’une note pour la Fondation de l’Ecologie Politique qui montre qu’il existe des inégalités territoriales et que les zones de pollution sont souvent des zones défavorisées socialement et économiquement. Il n’existe pas de catastrophes naturels, il n’existe que des risques naturels qui ont des conséquences catastrophiques pour certains. C’était déjà l’objet de la polémique entre Voltaire et Rousseau à propos du tremblement de terre de Lisbonne de 1755.

Un exemple récent en est la canicule de 2003 où les principales victimes ont été les personnes âgées vulnérables

Avec le retour de l’Eta-Providence, on passe du registre de la fatalité à celui de l’assurance assumée ;

Cela passe naturellement par une identification du coût sanitaire et social des crises écologiques et par une réforme fiscale. IL manque à l’évidence une matrice d’arbitrage.

Il convient toutefois de noter que le PNSE (Plan national santé Environnement) est le premier exemple du prise en compte par le politique de la questions des inégalités environnementales.

Cela suppose une modification de la gouvernance. Or une bonne gouvernance, ce sont des institutions qui font que les gouvernants, même incompétents, même corrompus, agissent en fin de compte comme s’ils étaient vertueux et experts.A cet égard, l’intervenant note que l’âge d’or de la réglementation environnementale américaine a été …la présidence de Richard Nixon.


 

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