Pour situer l’action
la narratrice vient de découvrir la face noire du prolétariat (les accidents du travail mutilant les ouvriers et non indemnisés) et veut en rendre compte.
Extraits du « Talon de Fer » de Jack London
« ….Ensuite,
j’essayais les journaux. Sans passion avec calme et modération,
j’écrivis un simple compte-rendu de l’affaire Jackson [la
victime , NDB].
Je m’abstins de mettre en cause les personnes avec qui j’avais
causé, et même de mentionner leurs noms. Je retraçais les faits
tels qu’ils s’étaient passés./…..
…/
avec un ensemble parfait, les trois quotidiens et les deux
hebdomadaires de la localité [San
Francisco, NDB]
refusérent mon article.
je m’arrangeais pour mettre la main sur
Percy Layton. C’était un diplômé de l’université qui voulait
se lancer dans le journalisme et qui faisait actuellement son
apprentissage de reporter au plus influent des trois quotidiens. Il
sourit quand je lui demandai pourquoi les journaux avaient supprimé
toute mention de Jackson et de son procès.
-Politique éditoriale,
dit-il, nous n’avons rien à voir là-dedans. C’est l’affaire
des directeurs…/
/….-Nous faisons bloc avec les grandes
compagnies; même en payant au tarif publicitaire, même en payant
dix fois le tarif ordinaire, vous ne pourriez faire insérer cette
information dans aucun journal et l’employé qui essayerai de la
faire passer en fraude perdrait sa place…./
/…-Personnellement,
je n’écris rien qui ne soit vrai. Je suis en règle avec ma propre
conscience. Naturellement, il se présente un tas de choses
répugnantes au cours d’une journée de travail; mais vous
comprendrez, tout cela fait partie du traintrain quotidien…./
/…-Il
ne faut pas ruer dans les brancards si l’on veut réussir dans le
journalisme. J’ai toujours appris cela à défaut d’autre
chose…./
/….-Vous ne comprenez pas les trucs du métier. Ils
sont corrects par nature puisque tout se termine toujours bien,
n’est-ce pas?…./ »
Fin
des extraits
Depuis que London a écrit ces dialogues pessimistes sur la liberté de la presse, les choses n’ont guère changé. Certes, la liberté des journalistes est formellement resceptée, du moins dans quelques pays dont le nôtre, mais dans la pratique les puissances économiques ont trouvé les parades. Il y a bien toujours le chantage aux budgets publicitaires que pratiquent encore sans vergogne quelques milliardaires au téléphone acerbe. Mais le meilleur moyen d’avoir des médias dociles, c’est encore d’en être propriétaire. En France Boussac et Prouvost avaient été des précursuers mais depuis c’est devenu un must d’avoir son journal, sa chaîne télé, ou les deux à la fois. La liste est longue de ceux qui, dirigeant des empires industriels ou commerciaux, sont en même temps actionnaires de médias d’influence. Un petit jeu de l’été : qui est propriétaire de ;
TF1 ,Le Monde, Le Figaro, Libération, BFM TV, Nice Matin, M6, Canal+, Le Point, L’Obs, La Marseillaise, La Croix, L’Humanité, Médiapart……
Et puis surtout, il y a cet être malfaisant qui, depuis qu’il est entré en campagne pour se faire élire président des Etats-Unis n’arrête pas de lancer ses imprécations contre les médias menteurs tout en s’appuyant sur d’autres médias encore plus menteur, ce qui n’a pas contribué à améliorer l’image des gens de presse. Fake News est devenu monnaie courante.
Notez ce genre d’excés a quand même eu un effet positif : cela a amené certains journalistes à s’interroger sur les règles de leur métier et en s’appuyant sur une opinion publique de plus en plus attentive ont commencé à mettre à jour les rouages de la fabrication de l’information. Mais les contraintes économiques mentionnées plus haut restent fortes.
Et malheureusement, l’espoir qu’avait fait naître Internet et ses possibilités quasi-infinies a, pour l’instant, mal tourné car comme le dit Jack London, l’homme est faible, faillible, mesquin et égoïste.