Au temps glorieux d’Air Inter, la moindre préfecture éloignée de plus de 200 kilomètres de Paris se devait d’avoir son aéroport. Ce n’était le plus souvent qu’un aérodrome de club, reconverti pour les besoins de la cause en agrandissant le hangar d’accueil, en allongeant un peu les pistes et en érigeant une tour de contrôle.
A l’époque où le train à vapeur vivait ses derniers jours, c’était un progrès indéniable mais qui cela concernait-il majoritairement ? Sûrement des gens déjà très pressés pour qui qui joindre Brest ou Quimper à Paris en moins de 6 heures était devenu vital. Le commun des mortels continuait à considérer que « monter à Paris », ça restait une expédition de plusieurs jours, pour être rentable.
Puis est venu l’électrification des lignes et enfin les lignes à grande vitesse. Ce fut le nouveau joujou des élus : « la gare TGV ». Sur cette portion de territoire qu’est la pointe bretonne cela vint plus tardivement et en deux temps : d’abord de Paris à Le Mans (180 kilomètres), puis de Le Mans à Rennes (140 kilomètres). On a mis deux fois plus de temps à faire le second tronçon que le premier.
Il ne s’agissait pas de difficultés techniques mais d’une grande gêne financière. L’Etat et la société nationale ne pouvaient ou ne voulaient plus se montrer aussi grand prince et bien au contraire mirent en œuvre des pratiques qui ressemblent plutôt à une forme de rançon des collectivités locales. « Si vous voulez votre joujou, il va falloir payer » disait sans ambages ces deux institutions dont la raison d’être en quand même un peu la solidarité entre les territoires et non la mise en concurrence systématique. Toujours est-il qu’on a payé https://fr.wikipedia.org/wiki/LGV_Bretagne-Pays_de_la_Loire#Financement
Et quand on voit la répartition des financement, la rançon demandée a été énorme, 1,1 milliards sur un total de 3,3 milliards dont 100 millions pour le seul département du Finistère. Ce chiffre est à retenir.
Mais au moins, cela valait-il le coup ?
A en croire les chefs d’entreprise, indéniablement puisque, s’il faut toujours plus de 3 heures pour aller de Brest à Paris : https://actu.fr/bretagne/Ligne à grande vitesse : Brest et Quimper, toujours à plus de 3 heures de Paris, car comme le dit Yann du Fretay, le secrétaire général du Medef Finistère« avec cette nouvelle offre, les chefs d’entreprise vont commencer à comparer avec l’avion ».
Voilà, la cause est entendue: les gens d’influence, ceux qui poussent les élus à passer à la caisse sont contents et plébiscitent, officiellement, la mesure lors de l’inauguration en 2017. ET d’ailleurs, ils ne sont pas les seuls puisque le succès « populaire » est tout de suite au rendez-vous : https://actu.fr/bretagne/vannesLGV Bretagne : la fréquentation des TGV en hausse de 18%
La cause est entendue, le TGV a gagné semble-t-il dès 2017.
Et pourtant le feuilleton des mobilités dans la pointe bretonne n’est pas fini .
En effet, le 21 mai 2019, soit à peu près deux après le voyage inaugural du LGV Bretagne le Conseil Départemental du Finistère prenait cette décision : https://www.ouest-france.fr/Quimper-Orly. Le Département participera au financement de la ligne
Bigre, de quoi s’agit-il encore ? Manifestement la compagnie qui a repris le flambeau de quasiment toutes les lignes régionales a décidé de déserter l’aéroport de Quimper. Les dirigeant de HOP !sont en effet des gestionnaires de bon sens et quand ils lisent les statistiques récentes de fréquentation de cet équipement https://fr.wikipedia.org/wiki/Aéroport_de_Quimper-Bretagne#évolution_du_trafic_passagers, il constatent bien que c’est un combat inutile de vouloir insister. Alors pourquoi les pouvoirs publics insistent-ils ? Il est vraisemblable que dans leur décision, l’avis de certains leaders d’opinion a pesé un petit peu. Toutefois, on serait intéressé de savoir qui sont les 75,000 personnes environ qui ont pris l’avion au départ de Quimper et pour où. Cela nous donnerait une indication sur l’intérêt qu’une collectivité désargentée, comme le sont la plupart des Conseils Départementaux, avait à s’associer à d’autres collectivités territoriales, guère plus riches pour garantir à ladite société, une rente de 3 millions d’euros pendant quatre ans.
C’est d’autant moins compréhensible qu’à moins d’une heure de là, il existe un autre aéroport, d’une autre envergure, celui de Brest dont la fréquentation ne cesse de croître https://fr.wikipedia.org/wiki/A%C3%A9roport_de_Brest-Bretagne#Statistiques , avec une offre de plus en plus diversifiée. Pour les vols moyen et long courrier, c’est la solution évidente.
Sauf que quand on dit moins d’une heure, ce n’est qu’un moyenne car s’il faut 47 minutes seulement pour aller en voiture d’une ville à l’autre, il faut encore 1h23 en train (source google maps, hélas!).
Et c’est là le troisième épisode de cette saga des mobilités dans la pointe bretonne.
En effet, cela fait longtemps qu’on sait que relier les deux grandes villes du département en train est une véritable galère; il suffit pour cela de comparer les trajets routier et ferroviaire et constater que si l’un fait une élégante courbe au fond de la rade de Brest, l’autre emprunte un parcours totalement biscornue aux confins des Monts d’Arrée, à cause d’un pont manquant parait-il.
Il n’était pas faux de dire en 2016 qu’avec la LGV http://www.bretagne-bretons.fr/Train. Paris-Rennes aussi vite que Brest-Quimper
Bon, les pouvoirs publics ont décidé de prendre le taureau par les cornes et des travaux ont été effectués sur ce trajet en 2017 https://www.finistere.fr/Train. Modernisation de la ligne Brest-Quimper non sans d’âpres négociations financières https://www.ouest-france.fr/Ligne SNCF Quimper-Brest : il manque encore 14 millions. Finalement, le chantier a été bouclé, cela aura coûté77,8 millions d’€ ainsi répartis Région Bretagne : 31%, Département du Finistère : 25,5%, SNCF Réseau : 20%, Etat : 19%, Brest Métropole : 3%, Quimper Communauté : 1,5%. Et tout cela pour quel résultat ? Il faut toujours 1h20 en moyenne pour aller de la préfecture du département à la préfecture maritime. Notez, diront les optimistes, qu’avant que les travaux aient été réalisés, l’allongement de trajet pour raison de sécurité était monté à 1h50 et que si rien n’avait été fait, c’eût été pire encore. Soit, on se contente de peu !
Mettez ceci bout à bout, cela fait quand même pas mal d’argent mis dans la corbeille par les collectivités territoriales (Région, département, communauté d’agglomération et métropole) comparé à ce que les sociétés à capitaux d’Etat ou l’Etat directement ont mis, et comme nous l’avons vu, parfois en pure perte.
Loin de moi l’idée de stigmatiser lesdites collectivités territoriales en les soupçonnant de gabegie mais manifestement, il y a eu en sous-main un travail de lobby de la part d’un petit nombre de personnes qui ont susurré cet argument massue « la vitesse des transports c’est du développement économique assuré» ce que contredit les déclarations publiques du MEDEF local. Et comme il n’y a pas eu de « visiteurs du soir » pour susurrer à l’oreille de ces élus locaux que d’excellentes relations ferroviaires locales entre les grandes agglomérations d’un même département c’est aussi du développement local assuré parce que QUAND MEME l’essentiel des relations économiques se font au sein d’un même département sans compter que favoriser la mobilité des travailleurs, c’est assurer une meilleure fluidité du marché du travail.
J’ai pris le cas de la pointe bretonne pour illustrer mon propos, car c’est peut-être celui que je connais le moins mal, mais de telles situations existent certainement ailleurs et cela illustre assez bien que le débat sur les mobilités est souvent mal engagé localement car les interlocuteurs nationaux, soit ne sont pas vraiment au fait des situations locales et raisonnent d’une façon très technocratique, soit et c’est plus grave, soumettent leurs interlocuteurs à de sordides chantages financiers.
Quand on sait les enjeux que représente les choix public en matière de mobilité, tant du point de vue écologique qu’économique et social, c’est un peu désespérant et je crains bien que la loi sur les mobilité en discussion actuellement au Parlement ne soit pas à la hauteur des enjeux.