Afin de respecter les (encore) sacro-saints « critères de Maastricht » l’État français est sommé de trouver rapidement des sous pour combler son déficit budgétaire et d’autant plus que depuis que, pour des raisons de politique intérieure, le gouvernement actuel a décidé de desserrer un peu les cordons de la bourse, notamment là où il avait naguère serré fort.
Quand on a des difficultés à boucler son budget, qu’il soit
familial ou national, il n’y a pas trente six solutions.
Personnellement, j’en vois trois :
-réduire ses dépenses
-augmenter ses revenus
-vendre les bijoux de famille
Les
bijoux de famille
Justement pour ce qui des bijoux de
famille, une polémique très politicienne s’est développé depuis
quelques temps autour de rumeurs de cession par l’État de deux
fleurons : Aéroports de Paris et La française des Jeux, au
point que deux partis dits « de gouvernement » ont lancé
ensemble une initiative référendaire pour empêcher ces
opérations : https://www.la-croix.com/Aéroports
de Paris vaut-il bien un référendum ?Avant
d’aller plus loin, je souhaite m’arrêter deux minutes sur cette
initiative, pour souligner quelques petits points amusants concernant
nos mœurs politiques. Le premier concerne l’amnésie. En effet la
privatisation d’AdP a déjà commencé puisque ce fut une des
premières affaires menées par la toute récente Agence des
Participations de l’État créée par le gouvernement Raffarin en
2004. Les anciens du RPR et de l’UMP doivent s’en se souvenir.
De son côté, le PS n’a pas fait mieux puisque c’est sous la
présidence de Hollande que trois aéroports de province et non des
moindres ont été cédés à des capitaux étrangers. Le second
concerne le recours au Référendum d’Initiative Populaire. Ce
serait une première en France. Dommage que la promesse du Président
Macron d’abaisser le seuil des pétitionnaires à 1,000,000 de
signataires n’ait pas encore trouvé une traduction législative,
parce que l’obstacle des soutiens parlementaires ayant été
franchi, il va quand même être difficile d’atteindre les
4,700,000 de signatures sur un tel projet et dans des délais très
courts.
Mais revenons quand même à ces deux opérations qui ne se justifient que par des considérations purement financières. En effet, il faut trouver des liquidités très vite pour réduire l’endettement tant que celui-ci ne coûte pas trop cher et donc le choix s’est porté sur ces deux entreprises. La première peut ramener 10 milliards et la seconde rapporterait bien moins, à peine 1 milliards si l’État accepte de descendre à 50 %. Rappelons pour ce qui est de la FdJ que l’essentiel des recettes qu’elle procure à l’État provient des taxes sur les jeux, soit 3 milliards d’euros, et que celles-ci sont en principe destinées au financement du sport, voire depuis peu au sauvetage du patrimoine.
S’il
ne s’agissait que de gros sous l’affaire serait entendue :
l’État vend Aéroports de Paris mais conserve toutes les taxes
liées à l’activité aéroportuaire , l’État vend Française
des Jeux et conserve toute les taxes liées à la pratique des jeux
et il laisse au privé le soin d’organiser ces activités au mieux
de ses intérêts.
Les taxes mises à part, cela ressemble
fâcheusement à ce qui s’est passé lors de la privatisation des
autoroutes, inutile donc de revenir la-dessus
Reste que ces
entreprises sont non seulement d’excellentes vaches à lait en
terme de taxes, mais en plus comme elles sont plutôt bien gérées,
elles sont rentables et versent déjà des dividendes. Si on ne prend
qu’Aéroport de Paris, le dividende par action a augmenté de 80 %
entre 2012 et 2017 et les perspectives d’augmentation de trafic
dans les 10 prochaines années oscillent entre 40 et60 %. Vendre
ses actions , c’est donc perdre des perspectives de recettes
alléchantes. Ceci est également vrai pour FdJ. Donc finalement d’un
strict point de vue financier, les choses apparaissent plus nuancées
que ne le laisserait croire les recettes brutes issues de la vente.
Mais l’État, donc son Agence des Participations, n’est pas une institution financière mais bien l’expression d’une souveraineté nationale et à ce titre, il a donc des critères d’analyse des risques un peu différents d’un fonds de pension. Pour cela, je vous renverrez volontiers au site de l’APE https://www.economie.gouv.fr/agence-participations-etat où il est rappelé la mission principale de cette agence de l’État : « L’Agence des participations de l’État (APE) incarne l’État actionnaire, investisseur en fonds propres dans des entreprises jugées stratégiques par l’État, pour stabiliser leur capital ou les accompagner dans leur développement ou leur transformation. »
Or, aussi bien AdP que FdJ sont des entreprises dont l’importance stratégique pour l’État ne fait aucun doute, la première car elle gère un ensemble qui ambitionne à devenir le premier hub aérien européen et parce que, pour la seconde, comme elle joue quand même sur l’exploitation d’un vice, son exploitation ne peut être laissée aux mains d’intérêts privés.
Donc, même si l’opération peut se justifier d’un strict point de vue financier, si on accepte de faire l’impasse sur les perspectives de dividendes futurs, elle ne peut être envisagée du point de vue régalien de l’État. L’affaire est donc entendu. Il ne faut pas vendre AdP et FdJ.
Bon, ceci étant dit, comment fait-on alors pour trouver des sous ?
Regardons
dans le portefeuille d’APE ?
https://fr.wikipedia.org/wiki/Agence_des_participations_de_l%27%C3%89tat
Il y aurait environ 80 entreprises majeures dans le capital
desquelles l’État aurait investi directement via son agence. Pour
les mêmes raisons d’intérêt stratégique, il ne saurait être
question de toucher aux participations dans les entreprises gérant
des infrastructures publiques, routes, autoroutes, réseaux divers ou
les institutions financières qui interviennent dans le financement
public local. Il reste donc pas grand’chose, si ce n’est des
participations dans des entreprises industrielles, mais de celles-ci
il convient de soustraire les entreprises intervenant dans le secteur
de la défense. Finalement, il ne resterait que deux entreprises, les
deux grandes entreprises automobiles françaises, dont on ne voit pas
ce qu’elle ont de stratégiques puisque l’une comme l’autre,
ont tendance à produire leurs voitures à l’étranger, ce qui
pénalise à la fois l’emploi en France et la balance commerciale
puisque la France n’exporte pas les voitures qu’elle produit et
vend à l’étranger, mais par contre elle importe les voitures que
ces entreprises fabriquent à l’étranger et vend en France. La
présence de l’État français n’a rien changé à l’affaire et
la vente des quelques 15 % que l’État possède dans chacune
de ces deux entreprises permettrait de dégager quelques subsides. De
même on peut se demander quel intérêt stratégique peut avoir la
place de l’État dans le capital d’une entreprise à moins de
5 %. En cédant tous ces petits bouts de portefeuille, l’État
pourrait aligner quelques centaines de millions d’euros et surtout
élaguerait son portefeuille et lui permettrait d’être plus
présent dans la gouvernance des entreprises qu’il juge réellement
stratégique.
Notons
toutefois que l’État ne dispose pas que de son agence de
participations pour intervenir auprès des entreprises, puisque il y
a aussi et surtout, ai-je envie de dire, la Caisse des Dépôts et
Consignations, considéré comme le fonds souverain français et avec
des moyens plus limité la BPI, la Banque Publique d’Investissement.
A cet égard, il est intéressant de voir ce que donnera dans les
années à venir cette opération, également dans le secteur de
l’automobile : https://www.optionfinance.fr/VALEO
: l’Etat français devient le premier actionnaire AOF – 29 AVRIL 2019
Ce
n’est quand même pas de la même nature que des participations un
peu passive dans des entreprises comme Renault ou PSA dont l’une
remonte à la Libération et à la nationalisation d’une entreprise
coupable de collaboration avec l’ennemi, ce qui n’a rien à voir
avec la stratégie économique, vous en conviendrez.
Pour aller plus loin sur ce
sujet, vous pourrez éventuellement consulter ceci :
L’Etat
est-il un mauvais actionnaire?
EADS-Airbus
: Un actionnaire peu ordinaire!
La
vraie privatisation de la SNCF
L’Etat
et les entreprises 2/5 L’Etat stratège
L’Etat
et les entreprises 3/5 L’état arbitre
L’Etat
et les entreprises 4/5 L’Etat partenaire