l’avenir de la démocratie : l’intelligence et la mémoire des peuples

Tout en écrivant mon dernier billet sur les avatars médiatiques de la démocratie, je me disais in petto que, décidément, il n’y avait rien de nouveau sous le soleil.

En effet, je me suis souvenu avoir lu dans cette remarquable œuvre de Sir William Durant « Histoire de la civilisation » un long passage sur la vision socrato-platonicienne de la démocratie et de son évolution.

Je ne résiste pas au plaisir, peut-être dangereux eu égard à la longueur de l’extrait qui pourrait fatiguer le lecteur habitué au 140 signes du moineau , de citer in extenso, l’extrait en question, et tant pis si cela écorne un peu la réglementation sur les droits d’auteur et les limites de la citation.

« Les gens d’affaires…qui ne prétendent jamais voir ceux qu’ils ont déjà ruinés, et qui insèrent leur dard-c’est à dire l’argent qu’ils prêtent à quelque autre, ne se tenant pas sur ses gardes contre eux ; puis ils recouvrent le capital multiplié ; voilà leur procédé, et son résultat, c’est qu’ils font abonder dans la cité des fainéants et de pauvres….Alors la démocratie prend naissance, après que les pauvres ont conquis leurs adversaires, tuant les uns, exilant les autres, et donnant à ceux qui restent une part égale de liberté et de pouvoir. »1

William Durant ajoute ce commentaire : « Les démocrates tournent aussi mal que les ploutocrates ; ils se servent du pouvoir que leur donne leur nombre pour voter des aumônes à la masse et se conférer à eux-mêmes des offices lucratifs ; ils flattent et caressent la multitude si bien que la liberté devient l’anarchie, les normes sont renversées au seul profit d’une vulgarité omniprésente, les mœurs dégénèrent, s’avilissent sous l’action des inconvenances et des abus que rien ne réprime. De même que la folle poursuite de l’opulence détruit l’oligarchie, de même les excès de la liberté mène la démocratie à la ruine. »

Puis il rend la parole à Socrate :

« Dans un pareil Etat, l’anarchie va croissant et s’introduit dans les demeures privées ; elle finit par se répandre même parmi les animaux et les infecter…Le père s’habitue à descendre au niveau de ses fils..et le fils d’être avec son père sur un pied d’égalité, n’ayant aucune crainte de ses parents ni aucune honte…Le maître redoute ses élèves et les flatte, tandis que les étudiants méprisent leurs maîtres et leurs tuteurs…Jeunes et vieux, c’est tout un, le jouvenceau est sur le même plan que le vieillard, et prêt à se disputer avec lui, en paroles et en actes ; le vieux de son côté…imite le jeune… L’accroissement excessif d’une chose produit souvent une réaction dans le sens opposé…L’excès de la liberté dans les cités ou parmi les individus, semble ne servir que de passage vers la servitude… et la forme de tyrannie la plus aggravée jaillit de la forme de liberté qui l’a poussé à l’extrême. »2

Ce dernier extrait inspire à Sir Willam Durant le commentaire suivant en forme de citations tirées de l’oeuvre du même Platon :

« Quand la liberté dégénère en licence, la dictature n’est pas loin. Le riche, qui a peur de se voir saigner aux quatre veines par la démocratie, conspire pour la renverser….Ou bien quelque individu entreprenant s’empare du pouvoir, promet monts et merveilles aux pauvres, s’entoure d’une force armée soumise à ses ordres personnels, commence par supprimer ses ennemis avant de décimer ses amis à leur tour, jusqu’à ce qu’il ait administré à l’État une purgation, bref, il établit une dictature….. »

Rappelons que ceci fut écrit un peu plus de 400 ans avant l’ère chrétienne, c’est à dire il y a à peu près 2,500 ans et que moins de 50 ans plus tard, Démosthène, seul sur ce qui était devenu la démocratie athénienne vitupérait ses Philippiques contre le roi de Macédoine qui mettait sous tutelle, une après l’autre, toutes les cités grecques et leurs régimes plus ou moins démocratiques. 20 ans après ce fut Alexandre et la fin de la Grèce dans l’histoire des idées.

Rappelons aussi que William Durant écrivit sa grande fresque historique « histoire des civilisations entre 1929 et 1933, c’est à dire entre le début de la Grande Crise et l’accession au pouvoir d’Hitler.

Ceci devrait nous faire réfléchir sur les leçons que nous pouvons tirer de l’Histoire.

Manifestement, les peuples n’ont pas de mémoire car ce que décrit Socrate , repris par Platon , exprime assez bien ce que nous avons vécu ces deux derniers siècles en Europe, depuis la Révolution Française jusqu’à l’après seconde guerre mondiale.

Depuis, nous pensions que les démocraties avaient mis en place les contre-pouvoirs nécessaires pour éviter ce retour perpétuel d’un cycle désespérant : ONU, Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, avènement du pouvoir médiatique comme contre-pouvoir et et toutes ces sortes de choses qui avaient été inspirées par l’horreur de la période 1935-1945, en Europe essentiellement (à l’Est comme à l’Ouest).

Or il semble bien qu’il n’en est rien . En effet, transposez dans l’Europe de la période 1973-2018, les propos de nos deux philosophes grecs et vous verrez que fondamentalement pas grand-chose n’a changé et que nos garde-fou ne pèsent finalement pas lourd dans certains pays que nous croyions des démocraties solides, à pein plus que dans d’autres pour qui la démocratie reste encore un long apprentissage.

On dit que l’intelligence, ce n’est pas de ne jamais faire des erreurs, mais plutôt de ne jamais les recommencer. Il serait temps que les peuples deviennent intelligents d’autant que comme je viens de le rappeler, il y eut entre 1945 et 1948, une forme d’intelligence collective qui nous fit croire que nous étions devenus, en Europe du moins, des nations définitivement intelligentes.

Alors, à défaut d’avoir cette intelligence, ayons au moins de la mémoire.

1Extrait de la République de Platon

2idem

Cet article, publié dans démocratie, je dis ton nom, est tagué . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.