ESS et French Impact : Les risques de contamination

Les prises de position se multiplient en faveur ou contre les projets gouvernementaux d’instiller un peu plus de responsabilité sociétale dans les mécanismes du capitalisme.

Parmi celles-ci en voici une qui mérite d’être lue puisqu’elle émane de l’inspirateur de ces projets de réforme, chargé en outre de les mettre en musique, le Haut-Commissaire à l’ESS en personne , Christophe Itier http://www.novethic.fr/French Impact : « L’économie sociale et solidaire fait partie des talents de l’économie française », selon Christophe Itier
J’extrais de cet interview quelques phrases qui me semble caractériser la pensée de cet homme :
« ….L’objectif [de French Impact]est de permettre une meilleure identification de ce qui existe en matière d’innovation sociale… » ; cela gagnerait en clarté si dans le même temps on donnait un peu de consistance à ce concept un peu flou d’innovation sociale. Après tout, BlaBlaCar a démarré comme une association, le Club Med également mais 60 ans plus tôt, tout comme la FNAC était une coopérative de consommateurs
« …..l’économie sociale et solidaire fait partie des talents de l’économie française et constitue un levier de croissance et de développement…. » : là il nous vend l’ESS comme d’autres avant ont vendu le savoir-faire de nos entreprises délégataires de services publics multifonction (Veolia, Suez, Lyonnaise Vinci) sous le label « Ville durable » C’est un produit d’export. Donc l’idée c’est de créer des filiales dans le monde entier pour exporter notre savoir-faire en matière de, de quoi déjà, ah oui ! D’innovation sociale. D’où ce nom ridicule de French Impact pour faire un peu start-up
« ….Nous sommes à un moment charnière de l’histoire avec une ESS qui est enfin reconnue parce qu’elle offre beaucoup de réponses aux défis sociétaux, que ce soit la quête de sens ou sur la volonté d’aller vers une économie plus responsable et plus respectueuse de l’environnement. Le statut ne fait pas la vertu….. » deux phrases mises bout à bout qui sont toutes les deux vraies et je ne peux que les approuver mais s’il les a dites ainsi, dans le même souffle, il y a quand même une rupture dans la pensée, la première phrase juste, n’a rien à voir avec la seconde, juste aussi, sauf si en le disant, on commence à avancer l’idée que l’ESS n’est plus dans l’ESS, un peu comme on a dit que « Rome n’est plus dans Rome » et ce fut sa décadence.
« …..Aussi, toutes les mesures qui vont dans le sens d’une plus grande conscience et d’une meilleure prise en compte de l’impact social sont bonnes à prendre. L’ESS n’a pas vocation à rester un secteur qui se parle à lui-même mais à devenir la norme….. » Tout cela est exact sauf la fin. En effet l’histoire récente de l’ESS et la loi de 2014 en est une illustration ainsi que les tentatives de création de Social Impact Bonds (obligations à impact social : lorsqu’on a essayé de métisser les deux mondes, celui de l’économie capitaliste et celui de l’ESS, la contamination s’est toujours faite de la première vers la seconde et non l’inverse parce que le rapport de force est ainsi fait. Et ce n’est pas en donnant un avantage « moral » supplémentaire aux entreprises capitalistes qu’on rétablira l’équilibre.
Il serait plus sain à l’inverse de donner un petit avantage compétitif aux entreprises de l’ESS à condition qu’elles agissent conformément à leurs statuts. En d’autres termes, le statut d’ESUS, et demain celui d’entreprise à mission, ne doit pas être donné, nonobstant le statut juridique de l’entreprise mais uniquement aux entreprises dont le statut relève de l’économie sociale et solidaire dès lors qu’elles peuvent prouver en outre qu’elles ont des pratiques sociales (échelle des rémunérations, dialogue social, non-discrimination, management participatif, politique d’insertion), commerciales (produits ou services socialement utiles, relations équitables avec les fournisseurs et transparentes avec les clients) et environnementales correspondant à ce statut. Ceci est l’exact opposé de la position de Monsieur Itier.

Par contre, c’est peu ou prou ce que disent les praticiens de l’ESS qui sont intervenus dans le débat depuis un mois.
http://factuel.info/abonne/daniel-hincelinLe risque de détricotage de l’Economie Sociale et Solidaire  Daniel Hincelin parle d’or quand il écrit :
« Taxer les contrats aidés d’inefficacité au regard de l’entrée dans l’emploi et seulement de ce point de vue, c’est omettre l’utilité sociale de ces milliers de salariés. »  Ben oui ! Pourquoi se le cacher, ces emplois aidés, c’était et c’est encore une forme de subvention au fonctionnement de nombreuses associations Et d’ailleurs la plupart d’entre elles ont joué le jeu de la montée en compétence des personnes embauchées, ce qui était le deal avec pôle Emploi. On ne saurait en dire autant des entreprises du secteur privé ou des collectivités locales pour qui ces contrats aidés n’ont été ni plus ni mois que de la main d’oeuvre au rabais. Le service public de l’emploi aurait mieux inspiré de trier le bon grain de l’ivraie avant de faire une petite note technique à sa ministre qui, bêtement, l’a relue sans recul car elle n’en connaissait pas la réalité

Il vise juste également avec ces phrases : « ….faire appel aux fonds privés avec garantie de l’Etat ou des collectivités en cas d’échec…… Ces Contrats à Impact Social sont selon les observateurs associatifs ni plus ni moins que des PPP sociaux ( Partenariats Publics Privés) dont on sait que les déficits incombent toujours au contribuable…. » Dans la partie administration publique de ma carrière, j’ai pu constater les dégâts budgétaires que vont provoquer ces PPP. La comparaison est juste : si ça marche, le prêteur encaisse, si ça foire, le contribuable paiera. Bonjour l’esprit de risque inhérent au capitalisme !

Michel Jézéquel, patron de Don Bosco en Bretagne n’est guère plus tendre https://www.ouest-france.frPOINT DE VUE. Quel avenir pour l’économie sociale et solidaire ?
Lui ne croit absolument pas aux possibilités d’hybridation entre les secteurs bien au contraire ou alors il faudra changer les règles du jeu pour éviter la mise sous tutelle, ce qu’il appelle la sous-traitance sociale.
Et pendant ce temps-là, certains découvrent à peine de quoi il s’agit et font naturellement quelques petits contresens. Le CJD est plutôt un pôle éclairé des chefs d’entreprises français mais parfois leur présentation de ce qu’est l’ESS est maladroite et un peu courte https://www.lanouvellerepublique.frAppréhender le monde d’aujourd’hui avec le CJD
Quant aux médias généralistes, ils reprennent sans sourciller la doxa que leur servent les instances officielles de l’ESS qui ont, elles, intérêt à gonfler le jabot pour exister, un peu comme la grenouille de La Fontaine (elle en creva d’ailleurs) . Ces chiffres basés sur le statut et uniquement sur le statut ne veulent rien dire surtout quand on y inclut les banques.
Le Cas du Crédit mutuel de Bretagne est à cet égard symbolique des dévoiements 
https://www.ouest-france.frLes associations de maires bretons soutiennent le Crédit Mutuel Arkéa alors que pendant ce temps-là, cette banque à laquelle les maires veulent garder le statut mutualiste et « appartenant à ses clients » comme dit la pub, fait cette publicité sur internet Arkéa Banque Privée – La Banque Privée par Excellence Banque Privée par Excellence. Confidentialité. Expertise dans la gestion de patrimoine. Groupe Crédit Mutuel Arkéa. Chef d’entreprise, cadre dirigeant ...  Et cela fait deux ans que de façon récurrente on parle des pratiques de leurs dirigeants https://www.breizh-info.comCrédit mutuel de Bretagne. La rémunération des dirigeants n’est pas très « mutualiste »

C’est peut-être à ça que pensait Mt Itier quand il disait que le statut ne fait pas vertu. Pour eux, la contamination a déjà eu lieu.Inutile d’en rajouter donc.

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