Doux ESUS , ils ne parlent que de gros sous ! : le financement de l’ESS (suite et pas fin)

Ceci fait suite au précédent billet consacré au financement de l’économie sociale et solidaire. En résumé, j’y écrivais que les outils existent certes mais que le plus souvent, il s’agit plus d’affichage que d’une réelle force de frappe financière au service du développement des entreprises dont le profit n’est pas le moteur contrairement aux sociétés dont la finalité est définie par l’article 1832 du code civil : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter.... »
 On comprend dès lors que les entreprises de l’ESS qui avaient des ambitions de développement mais moins de moyens financiers que d’énergie créatrice à y consacrer aient trouvé la pilule un peu amère.
Et encore, elles n’avaient pas tout vu. En effet, à peine les lois sur la modernisation de l’économie des quinquennats précédents leur avaient-elles entre-ouvert ces petits guichets de financement que les entreprises de l’ESS se virent offrir ce qu’on leur a présenté comme le grand portail d’accès à la haute finance. Ce fut la loi Hamon, [oui le même qui aujourd’hui plaide pour le revenu universel de base], autrement appelée loi relative à l’ESS. Ce n’était pas la première du genre mais celle-ci devait tout bouleverser et en effet, elle a tout bouleversé. De fait, afin de ne pas dévoyer les dispositifs de financement de l’économie sociale et solidaire,[ belle ambition !], ceux-ci ne seraient ouverts qu’à des entreprises ayant reçu un agrément particulier, correspondant à un nouveau statut, l’Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale (en abrégé ESUS, d’où le titre de mon article). Un nouveau label, ce n’était peut-être pas inutile compte tenu que la famille de l’ESS venait de s’agrandir; à côté des entreprises classiques de l’ESS dont les statuts remontent au siècle passé voire au siècle antérieur, l’article 1 de cette loi reconnaissait que faisaient également partie de la famille des sociétés commerciales de statut géré par l’article 1832 du code civil selon certaines conditions1. A ceci près que si vous avez eu la curiosité d’aller ouvrir le lien dans la note en bas de page, vous aurez constaté que l’obtention de ce statut d’ESUS relève du parcours du combattant et impose des conditions cumulatives tellement draconiennes qu’on en vient à se demander si l’accès aux financements dédiés à l’ESS ne constitue pas finalement un privilège exorbitant, au côté duquel, les habituels niches fiscales sont de douces amabilités. Bref, Monsieur Hamon s’est joyeusement fait balader par les services de Bercy

D’ailleurs, il n’y a qu’à lire la façon dont les services du ministère des finances présente ce dispositif : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Agrément « Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale » (ESUS) Lisez ! On ne pas faire plus technocratique comme présentation.
Eh bien si, figurez-vous! Parce leur collègue des services de l’information du Premier Ministre ont réussi à en faire une procédure carrément décourageante : https://www.service-public.fr/Comment obtenir l’agrément ESUS (entreprise solidaire d’utilité sociale) ?
On est loin du statut d’entreprise solidaire qui ouvrait droit aux mêmes financements depuis 2001L’agrément « entreprise solidaire »
De fait, et je parle d’expérience, ce changement a été fatal à beaucoup de petites structures qui ont perdu leur statut d’entreprise solidaire, n’ayant pas les moyens administratifs de recueillir tous les éléments nécessaires à l’obtention de ce nouveau statut. Manifestement, ce texte a été taillé pour les grosses entreprises de l’ESS en notamment les grosses associations ou ces sociétés commerciales citées au II de l’article 1 de la loi de juillet 2014. Comme si l’innovation sociale naissait dans ces grosses machineries ! Ce fut un choix. Il était connoté politiquement, n’en déplaise aux auteurs et aux signataires du texte de loi.

Mais rassurez-vous les choses vont changer. En effet, le 19 janvier dernier, le ministre en charge de ce secteur a fait une belle annonce reprise par une la presse :
http://www.lefigaro.frEconomie sociale et solidaire : l’exécutif veut débloquer 1 milliard
https://fr.reuters.com/Le gouvernement prévoit 1 milliard pour l’économie sociale
https://www.la-croix.comUn milliard d’euros pour financer l’économie sociale et solidaire
de nouveau le Figaro qui manifestement aime bien : http://www.lefigaro.frLe plan de l’État pour soutenir les innovateurs sociaux

Mais il a fallu attendre quelques jours de plus pour qu’on lève un peu le voile sur ce milliard : http://www.novethic.fr/Ne dites plus économie sociale et solidaire mais French Impact
Tout d’abord, c’est un milliard sur 5 ans ce qui en réduit la portée. Ensuite c’est l’agrégat de fonds publics et de fonds privés ; sera-ce comme dans le pâté d’alouette ? Mieux, le dispositif décrit sous ce nom ridicule de « French Impact » semble encore plus compliqué que la procédure ESUS. Enfin, comme il y aura peu d’élus chaque année manifestement, ce sera pour eux le véritable jackpot, et pour tous les autres le néant, et les yeux pour pleurer. L’idée, c’est bien de créer des groupes nationaux de l’innovation sociale. On reconnaît là la patte des « entrepreneurs sociaux » comme le fondateur du groupe SOS ou l’actuel Haut Commissaire à l’Economie Sociale et Solidaire.

Mais quelle idée ils ont eu d’appeler ÇA « French Impact ». Quel lien avec l’Entreprise ? Quel lien avec l’Utilité Sociale ? Quel lien avec la Solidarité ? On dirait une marque de boisson énergisanté2. En général, quand on croit à quelque chose, on s’arrange pour lui trouver un nom qui y corresponde. Ici, est-ce un aveu qu’on n’y croit pas ou que ce n’est surtout pas de l’Innovation Sociale, ni une démarche Solidaire?

Ce n’est certainement pas la meilleure façon de faire entrer l’ESS dans le XXI° siècle.

Et si je voulais être méchant, ce que je ne suis pas naturellement, je ferais remarquer que les mêmes qui sont en train de savonner la planche des secteurs traditionnels de l’ESS, se gargarisent du poids important de ce secteur dans l’économie française et notamment en termes d’emplois (10% ! 10% ! 10% ! ressassent-ils ad libitum) en oubliant que les gros bataillons de ces 10% viennent du monde associatif et de cette multitude de petites associations qui à coup de quelques emplois (de 1 à 5 en général) bâtissent dans leur coin, les schémas de l’économie solidaire de demain, dans la plus grande précarité, ayant perdu simultanément trois de leurs soutiens financiers majeurs ;  l’aide des collectivités territoriales, à court d’argent, le soutien des parlementaires privés de leur réserve parlementaire et finalement le secours de salariés recrutés via les contrats aidés (il paraît que de ce côté-là ça ira un peu mieux). Pour elles, que pèsent les 25 millions promis, à titre de compensation, au titre du Fonds de Développement de la Vie Associative à côté du milliard auquel elles n’auront jamais accès. Et l’argent donné aux uns ne pourra pas être redonné à tous les autres. Ceci aussi est un choix politique!

1 Pour les conditions particulières imposées aux sociétés commerciales et les critères d’utilité sociale se reporter aux articles 1 et 2 Articles 1, 2 et 11 de la loi n°2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’ESS

2Il s’agit d’une faute de frappe mais ce lapsus dactylographique m’a paru si significatif par son côté antinomique que je l’ai gardé

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4 commentaires pour Doux ESUS , ils ne parlent que de gros sous ! : le financement de l’ESS (suite et pas fin)

  1. Suzanne dit :

    Passionnant , Dominique. Fais tu un 3ème article indiquant aux malheureux investisseurs potentiels où déposer leurs épargnes en toute solidarité? BE Suzanne

    Envoyé de mon iPad

    >

    • Bonjour Suzanne,
      je n’avais pas l’intention de faire un troisième article de conseiller en investissement solidaire car ce n’est pas le sens de ma démarche. Je vais plutôt parler de ceux qui sont en train de dévoyer l’ESS encore un peu plus.
      Comme tu l’as bien compris, les outils mis en place ne permettent pas de placer ses sous mais il existe des tas de possibilités pour certainesplus anciennes que les textes de 2001 2014 et 2018 à venir. Je pense au Cigales, je pense en matière agricole à des structures comme Terre de liens, je pense à l’investissement direct dans des projets de SCOP (pour autant que la structure de leur capital le permettent), je pense à des investissements dans les SCIC avec toute la complexité du statut. Je pense aussi au financement participatif des associations via des plate-formes comme HelloAsso. Tout cela n’offre pas beaucoup de rentabilité u capital investi, tu te doutes bien. Il s’agit même souvent de dons. Ici, le retour sur investissement est surtout en termes de satsifaction d’avoir permis à des innovations sociales de décoller. Mais comme tu as dû le remarquer, les outils que j’ai évoqué, sauf peut-être HelloAsso sont des outils très locaux et supposent une bonne immersion dans son environnement. C’est d’ailleurs l’essence même de l’ESS, la création de solidarités de proximité, à l’exact opposé des « champions » de la « French Impact » que veut promouvoir Itier

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