Tous les ans en janvier, on se souhaite santé, bonheur…et prospérité . Santé, on sait ce que c’est et ce que ça coûte (voir mon dernier billet « mutualité(s) »). Le bonheur, on ne sait très bien ce que c’est mais comme ça ne coûte rien de le souhaiter aux autres, pourquoi s’en priver. Quant à la prospérité, c’est simple à comprendre : de la thune, de la thune et toujours de la thune. Oh, pas forcément des tombereaux, car depuis La Fontaine et son savetier on sait que trop de richesses nuit au sommeil (donc au bonheur ?), mais quand même suffisamment pour se dire que le Revenu universel pour tous, c’est une belle utopie mais …..pour les autres. Donc en janvier, on parle de fric, mais on n’est pas les seuls, tout le monde vous parle de fric. Il y a votre banquier qui vous envoie son petit mémo annuel pour vous annoncer triomphalement que votre plan d’épargne vous a rapporté 1.87% soit 35.89 euros de quoi vous payer un repas dans le restaurant où vous n’allez pas tous les mois.
Il y a votre concierge (pardon, votre gardienne d’immeuble) qui vous signale que quand même c’est la tradition de donner des étrennes en début d’année. Il y a votre compagnie d’assurance qui incidemment vous rappelle que votre échéance tombe en janvier et que le prélèvement va être fait (ah zut ! vous n’y aviez pas pensé. Tant pis, il faudra choisir entre la concierge et l’assurance). Et puis il y a les marronniers de janvier ; je veux parler du Forum de Davos et du rapport de l’OXFAM.
Mais avant d’aborder ces sujets sérieux et parfois dramatiques, permettez-moi de vous faire partager la franche hilarité qui m’a pris quand j’ai lu ça : Moscovici : « Laisser de nouveau filer les déficits, ce serait s’endetter » Monsieur De la Palice n’aurait pas dit mieux. Cela dit réduire les déficits, ne veut pas dire qu’on ne s’endette plus. On ne se désendette réellement que lorsqu’il y a excédent (avant remboursement des échéances évidemment). « Le commissaire français » que Hollande a réussi à fourguer à la Commission s’y prend très tôt pour espérer figurer au palmarès de l’Humour politique. Franchement si tous les autres commissaires sont du même acabit, c’est-à-dire les Rantanplan* de leur pays, il ne faut pas s’étonner que l’Union Européenne aille si mal.
Ce petit moment de détente passé, venons-en aux sujets qui fâchent
Comme tous les ans, se réunissent à Davos quelques milliers de personnes pour débattre sur l’état du monde. En fait, c’est le moment où les plus riches rencontrent les plus puissants (les autres plus puissants devrais-je dire) pour voir ce qu’il faudrait faire pour que les uns restent les plus riches et les autres les plus puissants sans que leurs têtes ne finissent au bout d’une pique. Car finalement c’est cela qui les hante en fin de compte : comment durer sans que cela n’explose ? Car ne vous faites pas d’illusion, ils sont parfaitement conscients de l’état du monde. Ils ne sont pas comme Marie-Antoinette et ses suivantes, totalement inconscientes de danser sur un volcan. La preuve en est ce rapport qui a alimenté certainement les déjeuners en chalet dans la montagne suisse Décalage frappant entre le moral des entreprises et la défiance des citoyens à Davos Eh oui ! la colère gronde dans les classes moyennes et populaires des pays développés qui voient leur pouvoir d’achat progressivement s’éroder. Quand on gratte un peu ça fait mal, quand on gratte plus ça fait un peu plus mal mais quand on arrive à la chair à vif, ça fait tellement mal qu’on est prêt à n’importe quoi pour que cela cesse. Voilà une explication aux ratées de la démocratie auxquelles nous avons assisté ces douze derniers mois. ET pour bien enfoncer le clou, une ONG qu’on ne présente plus, OXFAM, a publié aussi un rapport en inauguration des travaux de Davos Huit hommes possèdent autant que la moitié de la population mondiale Evidemment le titre est fait pour attirer le regard et l’effet est plutôt réussi mais regardez bien ces huit noms. Ce sont tous des fondateurs du groupe qui a fait leur fortune. Ce ne sont pas des héritiers. Comment peut-on appeler une telle accumulation d’argent sur une aussi courte période de vie ? Rapacité est peut-être un mot faible
Bill Gates : américain, fondateur de Microsoft (patrimoine de 75 milliards de dollars)
Amancio Ortega : espagnol, fondateur d’Inditex qui détient la chaîne de prêt-à-porter Zara (patrimoine de 67 milliards de dollars)
Warren Buffet : américain, PDG et premier actionnaire de Berkshire Hathaway (patrimoine de 60,8 milliards de dollars)
Carlos Slim Helu : mexicain, propriétaire de Grupo Carso (patrimoine de 50 milliards de dollars)
Jeff Bezos : américain, fondateur, président et directeur général d’Amazon (patrimoine de 45,2 milliards de dollars)
Mark Zuckerberg : américain, président, directeur général et cofondateur de Facebook (patrimoine de 44,6 milliards de dollars)
Larry Ellison : américain, cofondateur et PDG d’Oracle (patrimoine de 43,6 milliards)
Michael Bloomberg : américain, fondateur, propriétaire et PDG de Bloomberg LP (patrimoine de 40 milliards de dollars)
Et ce sont ces gens-là qui viennent rencontrer les dirigeants politiques de la planète tous les ans. Notez que cette année, il y a un absent qui aurait bien pu être des deux côtés, puisqu’il est à la fois une des plus grosses fortunes des Etats-Unis et depuis hier donc premier personnage de ce même pays. Notez également que dans les mois qui ont précédé sa désignation comme challenger des Républicains (pas les nôtres, les vrais), certains dans ce pays craignaient tant sa candidature qu’il envisageait même de lui opposer….Michaël Bloomberg, le dernier de la bande des 8, qui, on l’oublie trop, fut maire de New-York pendant plus de 10 ans. Comme quoi politique et fortune ont toujours fait bon ménage aux Etats-Unis (Rockefeller, Kennedy, Bush…)
Mais foin de ces digressions, revenons à nos pâturages suisses. Pour se faire une idée de l’état d’esprit qui y règne, il suffit de voir qui on met de l’avant. Les 5 co-présidents cette année sont ici Les porte-drapeaux 2017 du Forum de Davos La parité est respectée : deux patrons hommes et deux patrons femmes, histoire de rester politiquement correct. Mais me direz-vous, il y a une troisième femme parmi les 5 coprésident-e-s. Ah : oui : vous avez raison mais elle, elle ne compte pas, c’est un alibi. On a donc bien compris, Davos, ce n’est pas une succursale des Nations-Unies, c’est le club des plus riches qui convoque le club des dirigeants politiques pour leur expliquer ce qu’ils devraient faire pour éviter que ça explose trop fort ou trop vite
Et ils ont raison de le demander car au bas de la pyramide, ça bouge. C’est du moins le sens de ce message d’OXFAM « Nous avons le talent, l’imagination et les compétences pour rendre ce monde meilleur » Toutes ces populations du Sud ont mille motifs de vouloir un sort meilleur et elles vont le réclamer avec de plus en plus de force. Mais comme à la pointe de la pyramide, on n’est pas prêt de les lâcher, c’est forcément en tapant dans le milieu qu’on arrivera à en donner un peu plus en bas. Or le milieu c’est ce qu’on appelle dans les pays développés, les classes moyennes ET les classes populaires. Et c’est à partir de là que la belle mécanique de la mondialisation commence à dérailler. Rajoutez-y quelques boutefeux populistes (je ne cite pas de nom, il y en a dans chaque pays, venus de la droite la plus extrême ou de la gauche la plus véhémente) et vous avez les ingrédients d’une belle explosion non contrôlée. A cet égard, il est frappant de constater que les perdants de la mondialisation aux Etats-Unis ont mis une partie de leur destin entre les mains d’un des grands gagnants de celle-ci. C’est peut-être cela la réponse la plus cynique de ceux qui se réunissent à Davos.
Il n’est pas besoin de faire de longues démonstrations pour arriver à la conclusion que la seule attitude politique intelligente est de faire converger la colère des petits blancs qui ont peur de perdre un peu et celle de toutes les populations colorées (par opposition à « petits blancs ») et non de les opposer comme l’a fait Trump aux Etats-Unis, UKIP au Royaume-Uni, 5-étoiles en Italie, AfD en Allemagne et tous ces démagogues qui surfent sur la peur de l’étranger pour ne pas dire que la seule solution viable sera une meilleure répartition des richesses partout et pour tous. Comme épuiser la fortune des plus fortunés n’y suffira pas, il faudra bien que les classes moyennes et les classes populaires fassent à leur tour un petit effort, mais faisons le pari que ce sera d’autant plus facile qu’en haut on aura beaucoup raboté. Quand on a le minimum vital, il est moins insupportable d’avoir moins que ce qu’on voudrait que de voir que d’autres ont beaucoup plus qu’on ne pourrait jamais espérer.
*Je n’ai rien contre le toutou préféré de Lucky Luke, plutôt une certaine affection pour sa constance.