L’argent du pouvoir, le pouvoir de l’argent (suite) : L’Etat aime les entreprises

Dans les précédents billets de cette série consacrée  au rapport de l’argent avec le pouvoir, ou du pouvoir avec l’argent si vous préférez, j’ai essayé d’illustrer en m’appuyant sur l’actualité la nature des rapports liant ou opposant le pouvoir d’Etat au pouvoir financier. Certains ont peut-être traduit un peu vite « les rapports de l’Etat et des entreprises ». Ce serait une grave erreur d’appréciation. En effet ce n’est pas la première fois que j’aborde cette question des rapports de l’Etat et des entreprises. Il y a deux ans et demi, j’avais abordé cette question d’un point de vue théorique dans une série de 4 billets que j’avais fini par rassembler dans une seule longue note

L’Etat et les entreprises 5/5

Qui n’était d’ailleurs que la poursuite d’un réflexion menée au sein d’un cénacle trop tôt disparu, Démocratie & Entreprises,  L’Etat et les entreprises

Certes, cela n’épuisait pas la question mais de mon point de vue, cela permettait de mieux fixer les jeux d’acteurs. Cela tombait bien puisque quelques mois après, le premier anniversaire de ce quinquennat me permettait de faire un petit bilan, d’étape

Un an après, il est temps de changer de cap… avec les entreprises

Le moins qu’on puisse dire est que ce bilan était très mitigé et que l’Etat méritait la mention « peut mieux faire ». Depuis beaucoup d’eau a coulé sous les ponts comme a coulé le gouvernement Ayrault et comme vient de se saborder Valls 1. C’est le moment choisi par ce dernier pour faire une grande déclaration d’amour aux entreprises, sur le thème « nourrissons-nous de nos différences ! »

http://www.entreprises.ouest-france.fr/article/medef-manuel-valls-patrons-cessons-dopposer-etat-entreprises-27-08-2014-156793

Medef. Manuel Valls aux patrons : « Cessons d’opposer Etat et entreprises »

Pour avoir longtemps milité, au sein justement de D&E, pour la réconciliation du peuple de gauche avec le monde des entreprises (comme si le peuple laborieux de gauche ne travaillait pour une grande part dans …des entreprises), je ne peux qu’applaudir à ce discours.

Oui ce sont les entreprises, quel que soit leur statut juridique, qui crée l’essentiel des richesses !

Oui il faut aider les entreprises à créer ces richesses car c’est une des conditions essentielles pour que le modèle social français puisse continuer à fonctionner

MAIS

Ce n’est pas gagné d’avance. En effet, il ne suffit pas de dire pour que cela se fasse. Pour cela donnons la parole à un observateur plutôt impartial, Acteurs Publics, qui tout en affichant un profond attachement au service public tel qu’on le conçoit en France, milite aussi activement pour que ledit service public s’allège dans une perspective que je qualifierai volontiers de « libérale », au sens où « moins il y a d’Etat, meilleur l’Etat est ».

Alors cela donne ces deux constats

http://www.acteurspublics.com/2014/09/02/administrations-entreprises-elles-se-reparlent-enfin

Administrations-entreprises : elles se reparlent enfin !

http://www.acteurspublics.com/2014/09/03/jean-francois-roubaud-cgpme-le-temps-de-l-administration-n-est-pas-celui-des-entreprises

Jean-François Roubaud (CGPME) : “Le temps de l’administration n’est pas celui des entreprises”

Comme on le constate en lisant ces deux articles, les entreprises ont longuement la parole dans cette série d’articles et elles peuvent allègrement développer les griefs qu’elles ont, non pas avec l’Etat, mais avec son administration. Une enquête semblable, disons aux Etas-Unis ou en Allemagne n’aurait peut-être pas apportée des constats très différents tant il est vrai que toute administration a tendance à générer toutes les raisons qu’il faut pour se faire détester.

Sauf que dans un cas comme dans l’autre, il ne s’agit pas de tout l’appareil d’Etat ni de tout le monde des entreprises.

Il existe dans les administrations, à tous les niveaux et même parfois au niveau le plus élevé des fonctionnaires qui comprennent parfaitement bien quels sont les intérêts des entreprises et qui, trouvant que certaines réglementations sont absurdes, contournent habilement lesdites réglementations.

Le constat par contre sur la « sécession » de la Haute Administration fait par l’Institut de l’Entreprise (sic ! car comment peut-on avoir l’outrecuidance de s’intituler « LE » institut ?) est typiquement français et concerne la façon très particulière dont la France assure le renouvellement de ses élites et cela dépasse le simple rapport entre l’Etat, comme institution, et les entreprises, comme acteur.

Le problème en effet est que, contrairement à ce qu’affirme le susnommé « LE » Institut, il y a bien porosité entre l’appareil d’Etat à son plus haut niveau et le monde des entreprises, à son plus haut niveau mais que la porosité ne se fait pas dans le bon sens ni au bon niveau. En effet, rare sont les cadres dirigeants d’entreprises qui entrent dans la haute administration, c’est plutôt l’inverse qui se passe, c’est-à-dire des hauts fonctionnaires qui partent pantoufler dans les entreprises et dans ce cas, ce sont rarement des PME, plutôt des institutions bancaires ou les stars du CAC 40. D’ailleurs, comme le font remarquer les hauts fonctionnaires partis dans le privé, il serait difficile de faire venir des pointures du privé compte tenu du niveau de rémunération de l’administration.

Donc le divorce entre l’Etat et les entreprises n’est pas total. Il est entre la haute administration et les entreprises qui ne sont pas du CAC 40. C’est ce qui permet d’ailleurs à Alternatives Economiques de titrer ainsi un des plus beaux réquisitoires qui soit contre l’autre bureaucratie, la bureaucratie patronale, connue dans les années 20 comme le Comité des Forges, dans les années d’après-guerre, comme le CNPF, et depuis les lubies du Baron Seilleres, comme le MEDEF

http://www.alternatives-economiques.fr/page.php?controller=article&action=html&id_article=69294&id_parution=633

On ne peut faire le bien des entreprises que MALGRÉ le MEDEF

En effet dans les années 20, au moins les choses étaient claires. C’était le club très fermé des « maîtres de forges » qui défendait ses intérêts. Après la deuxième guerre mondiale et la mise en  œuvre (toujours pas digérée à ce jour par une partie du patronat français) du programme du CNR, « les jours heureux », ce sont les intérêts de TOUT le patronat français qu’il s’agissait de défendre. Maintenant, après près de 30 ans d’alternance gauche-droite, il s’agirait de défendre « les intérêts de toutes les entreprises ». Mais comme c’est toujours la même petite élite qui est à la manœuvre, ce sont en fait toujours les mêmes intérêts de quelques uns qu’on défend. C’est d’ailleurs pour cela qu’à côté du MEDEF, il existe une CGPME dont le discours, moins audible, est souvent pourtant plus crédible.

La différence en effet est que quand un patron du CAC 40 parle des difficultés de son entreprise et des rapports difficiles que « l’entreprise » a avec l’administration, il cite un rapport qu’on lui a remis, alors qu’un dirigeant d’une PME, quand il parle, le dit le plus souvent avec ses tripes car il s’agit de ses tracas et de ses angoisses au quotidien. La différence est là.

L’Etat aime les entreprises, certes mais DES entreprises aussi aiment l’Etat

Même si le CICE n’a pas encore eu les effets escomptés sur l’emploi, il semblerait qu’il en ait déjà eu sur les résultats des entreprises. Dividendes des sociétés cotées : + 30% en un an ! En effet, pour distribuer des dividendes en augmentation, il faut avoir un résultat en augmentation, ou alors c’est suicidaire. Et pour que les résultats augmentent brutalement de 30%, la seule explication qui me vient à l’esprit, c’est que le CICE est venu dopé, de façon artificielle, le résultat, toutes choses étant restées évidemment égales par ailleurs au cours d’une année qui n’a pas vu l’effort d’investissement des entreprises faire un grand bond en avant.

Et parmi ces entreprises, il y en a quelques unes qui auraient vraiment très mauvaise grâce à se plaindre de l’Etat, ou plutôt des Etats puisqu’il s’agit d’une aubaine européenne

La BCE choisit la relance… des cadeaux aux banques

D’ailleurs, si besoin était de démontrer que le sort des entreprises et des Etats sont liés, il n’ya qu’à pour se convaincre de lire cet article

http://www.euractiv.fr/sections/innovation-entreprises/les-patrons-francais-mobilises-pour-un-plan-dinvestissement-europeen?utm_source=EurActiv+Newsletter&utm_campaign=0fbcdf2401-newsletter_derni%C3%A8res_infos&utm_medium=email&utm_term=0_da6c5d4235-0fbcdf2401-55417197

Les patrons français mobilisés pour un plan d’investissement européen

L’Etat est évidemment un partenaire exécrable mais ça peut être un très bon client. Et si la fin du divorce entre l’Etat et les entreprises se fondait sur ce constat. Mais cela supposerait que l’Etat reconnaisse que s’endetter pour investir, ce n’est pas vraiment s’endetter et surtout qu’il arrive à en convaincre les autorités bruxelloises, qui montrent par ailleurs leur peu d’intérêt réel qu’elles ont pour l’entreprise, du moins celle qui n’est pas transnationale, en multipliant les directives et règlements, démontrant par la même, non seulement que l’excès de normes tue la norme, mais aussi épuise les entreprises

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